Trois ministres du gouvernement sont visés par une plainte devant la Cour de justice de la République, accusés de porter une responsabilité dans la multiplication des suicides au sein du personnel hospitalier en France.
La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, son homologue délégué à la santé et à l’accès aux soins, Yannick Neuder ainsi que la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Élisabeth Borne, sont au banc des accusés.
Selon les informations du journal Le Monde et de France Inter, ces trois officiels du gouvernement font l’objet d’une plainte pour « harcèlement moral », « homicides involontaires » et « violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner » déposée devant la Cour de justice de la République (CJR) le 10 avril dernier.
Cette procédure judiciaire a été initiée par un collectif de 19 proches endeuillés (veufs, veuves et familles) de professionnels de santé qui se sont donné la mort ces dernières années en France. Leur démarche vise à mettre en lumière la détresse profonde qui règne dans les hôpitaux du pays.
Les témoignages recueillis par Le Monde auprès de ces familles dressent un tableau alarmant de la situation, que le quotidien n’hésite pas à qualifier « d’épidémie » de suicides dans le milieu hospitalier français.
Des vies brisées sur l’autel de l’efficience hospitalière
Le docteur R., chef des urgences du centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, s’est ainsi donné la mort dans son bureau en septembre 2023, après des semaines de 80 à 90 heures de travail, enchaînant les gardes sans repos.
« Il était en permanence entre le marteau et l’enclume, à défendre ses équipes et soumis à la pression du résultat« , confie son épouse, elle-même cadre de santé. À Brumath, dans le Bas-Rhin, l’établissement public de santé d’Alsace Nord a connu de son côté quatre suicides en l’espace de deux ans.
À tel point que l’inspection du travail a effectué un signalement au procureur pour « harcèlement moral au sein d’un établissement public hospitalier » se trouvant sur place.
À Béziers, le centre hospitalier a également été touché par deux suicides et une tentative en 2024. Parmi les victimes, Mme L., infirmière, qui s’est donné la mort en juin 2024 après avoir été « pressée comme un citron malgré ses alertes », selon les mots de son mari.
« La jurisprudence France Télécom »
Avant son geste fatal, elle aurait laissé un message lourd de sens : « Je fais ça pour protéger les futures infirmières, les futures générations, pour une prise de conscience ». Il est reproché aux ministres mentionnés une inaction face à l’urgence de la situation, malgré plusieurs alertes envoyées directement à l’exécutif.
L’avocate Christelle Mazza dit avoir notamment adressé un courrier en mars 2024 à la ministre de la Santé et à la conseillère santé de l’Élysée, mentionnant explicitement « sept situations au moins avec un risque très élevé de décompensation » et « d’atteintes inacceptables à la sécurité des patients » ainsi qu' »à la conduite de la recherche hospitalo-universitaire française ».
Elle s’inspire dans sa présente démarche judiciaire d’un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation impliquant France Télécom. La société ayant été reconnue coupable de « harcèlement moral institutionnel » impliquant des cas de suicide d’employés.